Interview avec Nadir Tazdait concepteur du musée d'Afrique à Alger

La rédaction
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Nadir Tazdaït. Architecte: La lecture de notre histoire nous renvoie à ses origines africaines


-Le projet du Grand musée d’Alger ne date pas d’hier. Pourtant, il ne vous a été confié qu’en 2013. Comment avez-vous obtenu sa réalisation ?

En effet, la décision de l’Union africaine de confier ce projet à l’Algérie date de 2005, mais entre la décision politique et la maturation du projet, il s’écoule un laps de temps qui dépend de nombreux paramètres, dont le financement, le site, le programme... Ces délais sont courants partout dans le monde sur ce type de projets. Quant à l’obtention de l’étude, le ministère de la Culture, maître d’ouvrage par le biais de sa maîtrise d’ouvrage déléguée à l’Agence des grands projets culturels (ARPC), a organisé un concours international sur la base d’un programme ambitieux et auquel mon agence a répondu parmi 41 autres d’architecture de par le monde. Il y a eu plusieurs grands architectes de dimension internationale qui ont répondu. Suite à plusieurs phases de sélection, nous avons eu l’immense honneur d’être retenus par le jury. Surtout pour moi, puisque formé à l’école algérienne, l’USTO d’Oran et non d’Alger, j’en suis très fier (rire).


-Pourquoi un musée de «l’Afrique» aujourd’hui, alors que l’Algérie n’a pas spécialement une vision «africaine» des arts ?


C’est une assertion qui ne ferait pas plaisir à Ramtane Lamamra l’Africain ! Je pense au contraire que l’Algérie a eu depuis l’indépendance une vision africaine très forte ; c’est quand même l’ALN qui a formé Nelson Mandela en 1963 et l’Algérie a été de tous les combats d’indépendance en Afrique du temps du tandem Boumediène- Bouteflika et bien avant. Elle jouit d’une grande notoriété en Afrique jusqu’à aujourd’hui.

Certes, elle a connu des hauts et des bas, notamment pendant la décennie noire, mais la politique actuelle est en train de rattraper ce temps perdu. L’actualité nous montre chaque jour que nous ne pouvons pas nous désintéresser de la question africaine. Par ailleurs, l’Algérie est le plus grand pays d’Afrique et la lecture de notre histoire nous renvoie à ses origines africaines ; pour rappel, Al Murabitun (Imrabden) sont des Amazighs Sanhaji originaires de l’Adrar en Mauritanie et étaient des nomades Zenagas qui «nomadisaient» entre la Mauritanie et le Sénégal, l’influence de ce royaume s’étendait alors jusqu’au royaume du Ghana. C’est un des objectifs de ce musée que de rappeler nos racines africaines.


-De quoi sera composé le musée ? Un bâtiment central ou plusieurs ? Quels sont les matériaux utilisés ?


Le bâtiment est constitué de trois grandes ombrières à l’échelle urbaine, c’est un signal qui permet d’identifier le musée depuis la baie d’Alger. Ces ombrières couvrent un ensemble d’édifices posés sur un socle minéral. Ces édifices sont constitués par le musée, une grande salle de conférences et de cinéma, ainsi que des activités d’accompagnement et de logistique (ateliers pour enfants, boutiques, restaurants, administration..). Les matériaux utilisés sont de deux sortes : la structure porteuse des édifices est en béton, les ombrières sont en charpente métallique ; par contre, nous avons préconisé des façades en terre, clin d’œil à cette terre d’Afrique et au savoir-faire africain qui revient en force avec la problématique environnementale et auquel il répond avec pertinence.


-Le Grand musée de l’Afrique est moderne dans sa structure ; pourquoi ce choix ?


En effet, nous avons fait le choix d’une structure moderne, car tout simplement l’Afrique est moderne et je dirais même aux avant-postes de la modernité. Ce n’est pas forcément dans la course aux technologies que cela s’exprime, et dont on constate souvent la vacuité de sens au passage, mais à travers le regard neuf porté sur le monde. Ce musée est avant tout un dispositif critique qui regarde l’avenir et interroge notre identité africaine multiple, source de richesse infinie.


-Le site de la construction du musée est-il idéal ?


Le site est complexe et heureusement sinon il ne serait plus disponible ! En plus la baie d’Alger connaitra d’année en année des changements. 


-Avez-vous pensé à un système pour prévenir des catastrophes naturelles (séisme, inondation) ?


En effet, le site est complexe et heureusement, sinon il ne serait plus disponible aujourd’hui ! En accord avec le maître d’ouvrage, nous travaillons avec des bureaux d’études techniques et des géotechniciens de réputation mondiale. Nous avons des solutions éprouvées qui nous rendent confiants quant à leur bonne réalisation. Elles seront mises en œuvre dans les mois prochains. Bien sûr, nous avons tenu compte de la menace sismique en collaboration avec le CTC d’Alger, ainsi que de la remontée prévisible des eaux de la mer par le rehaussement du terrain. Nous avons lancé des études de soufflerie (au vent) au CSTB de Nantes pour optimiser le poids et le coût de la charpente métallique des ombrières. Nous veillons à ce que rien ne soit laissé au hasard.


-En ce qui concerne les collections qui doivent être exposées, est-ce que les pays africains et occidentaux vont contribuer, sachant qu’une bonne partie est à l’étranger, parfois dans des caves et jamais dévoilées au public ?


La question des collections renvoie à ce qui a été évoqué précédemment, à savoir que c’est un musée qui s’inscrit dans la modernité et qui va accueillir des collections, tant anciennes que contemporaines. Celles que vous évoquez sont des collections anciennes qui sont à l’étranger, période coloniale oblige. Cela dit, il y a en effet une filiation entre le présent et le passé à travers les objets et les œuvres, d’où parfois l’intérêt de la confrontation et la contextualisation des œuvres de différentes périodes. Nous travaillons en tant qu’architectes avec un grand spécialiste algérien de l’art africain, Pierre Amrouche, expert Afrique auprès de Sotheby’s, la plus grande maison de vente d’art au monde.

Nos échanges nous aident beaucoup dans la définition des besoins du musée. Pour revenir aux pays africains, ils pourraient jouer le jeu si les règles sont établies et partagées. Chaque pays a une politique culturelle propre dont il faudra tenir compte. C’est un travail de longue haleine. Concernant les pays occidentaux, nous ne sommes pas en compétition avec des musées thématiques, tels que le musée du Quai Branly à Paris ou les Musées africains de Bruxelles, Londres ou Berlin... Par contre, nous n’ignorons pas ces institutions et espérons que nous aurons des échanges via des dépôts de longue durée, un autre chantier en vue. C’est avant tout le rôle du ministère de la Culture et aux institutions de l’Etat d’initier ce type de démarche au moment opportun.


-Le Grand musée de l’Afrique serait-il l’occasion de restituer des vestiges arrachés à leur terre natale ?


Des institutions tels que l’Unesco et l’Icom traitent ces sujets depuis un moment, ceci devrait se faire en bonne intelligence, car ce sont des sujets sensibles. En tout cas, nous nous faisons fort, à travers ce musée, conçu comme un outil de travail, de réaliser des lieux conformes aux standards internationaux en termes de conservation. Ceci afin de rassurer ceux qui craignent une éventuelle détérioration des œuvres transférées ou déposées dans le Grand musée de l’Afrique. Ils seront entre de bonnes mains ! Il est à noter que les lois de l’Icom n’autorisent plus d’exporter les œuvres et/ou objets trouvés en Afrique pour les vendre sur le marché de l’art de manière légale. A terme, cela fait partie des mesures qui vont tarir ce trafic illicite.


Biographie express :


Né à El Kseur, Nadir Tazdaït vit et travaille entre Alger et Paris depuis 1991. Architecte d’Etat de l’USTO d’Oran et architecte DPLG de l’Ecole d’architecture Paris Malaquais, il s’est très tôt intéressé aux technologies numériques appliquées à l’architecture. Une première collaboration avec le groupe Decoi sur des projets précurseurs en matière d’architecture numérique l’a inscrit dans une approche expérimentale. Le but était de concilier innovation technologique et architecture au service d’agences prestigieuses telles que Jean Nouvel, Christian de Portzamparc, Renzo Piano et Frank O. Gehry, et ce, sur des opérations de grande envergure (rénovation du Centre G. Pompidou, Musée du Quai Branly, fondation Louis Vuitton, Philharmonie de Paris). Une inflexion dans le travail de Nadir Tazdaït s’est produite lors de sa sélection, parmi six équipes internationales, pour le concours d’architecture des Arts de l’Islam au Louvre en 2005, en association avec Thomas Corbasson et Karine Chartier. En tant qu’architecte concepteur, ce fut le départ d’une pratique revisitée par les acquis du numérique. Depuis 2006, le groupement avec Pascale Langrand, architecte dplg, née à Alger et légataire universelle de l’œuvre de Roland Simounet dont elle fut la directrice d’agence, s’inscrit dans cette démarche.


Faten Hayed, el Watan du 28 novembre 2014

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