Conversation, extraits du livre "conversation, cusy maraval, architectes à montpellier"

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Conversation, extraits du livre "conversation, cusy maraval, architectes à montpellier", éditions de l'espérou. 
Gilles Cusy
L'idée

- Un projet c’est développer une idée.
Une idée au début ce n’est pas forcément très défini et ça n’appartient à personne en particulier. Dès qu’elle est formulée, elle devient libre. Elle est discutable, critiquable. Parfois au moment où elle est formulée, elle est déjà abandonnée. Je me rends compte que c’est une erreur. J’évite volontairement de trop la développer avant de t’en avoir parlé pour ne pas m’y attacher.

- Je crois que tu as un bon jugement. Parfois j’ai une idée, je ne sais pas qu’en penser personnellement mais j’ai le sentiment de savoir ce que toi tu vas en penser. Ça n’a pas toujours été comme ça. Il faut du temps pour arriver à ça. Parler des idées que l’on a sans s’y accrocher à mort et accepter qu’elles soient développées par toi, ou bien fusillées.  C’est le résultat qui m’a fait évoluer sur ce point.
Avec le recul [quelques années après] je vois le projet et je me dis que tu avais raison sur tel ou tel point. Au début ta radicalité m’effrayait et puis elle est devenue un élément essentiel de ma propre façon de penser.
C’est difficile de dire ce qu’on amène dans un travail commun. C’est plus facile d’appréhender la part de l’autre.

- Je suis incapable de dire sur un projet qu’elle est ma part qu’elle est la
tienne. Je me rappelle de points particuliers de désaccord sur certains projets mais ensuite, tout cela est tellement dilué dans la masse du travail commun que l’influence de telle ou telle décision n’est plus perceptible. 

- Ça fonctionne par "tests" successifs. C’est normal d’avoir de l’empathie pour l’idée que tu développes même si elle n’est pas totalement évidente ; tu t’arranges avec toi-même. Tu te mens un peu. Mais là quand on est deux, un peu «brut» comme nous, le retour est radical. Avec le temps, je crois qu’on a appris à accepter nos critiques réciproques. A comprendre qu’elles ne sont destinées qu’à l’idée qu’on développe.

- En fait, on ne fait que ce sur quoi on est d’accord tous les deux. Ça prend parfois un peu de temps, mais une fois que l’on y est, on  remet rarement en cause les décisions.

Lieux

-Le dehors. C’est toujours la même idée, ce qui est important ce n’est pas l’architecture elle même mais ce qu’elle fabrique. Je crois qu’une bonne architecture produit avec la même pertinence le dedans et le dehors. Les lieux du dehors existent à part entière. Ils ne sont pas le simple prolongement de la maison, ils sont la maison ! Ce qui est génial c’est de te dire que ton toit c’est le ciel.
 
- C’est vrai. Ça me fait penser à quelque chose que m’a dit Emma un jour, elle devait avoir une dizaine d’années. Je ne sais pas à quoi elle rêvait. Elle m’a dit : "papa, est ce que tu sais comment sera la maison du futur ?" et comme je lui ai répondu que je n’en savais rien, elle m’a asséné avec l’assurance d’un enfant de dix ans : "la maison du futur sera décapotable !". J’ai ri et en même temps j’ai trouvé ça tellement vrai par rapport à tout ce que l’on pense et ce que l’on fait dans nos projets : les jardins, les patios, les terrasses …

- Finalement, l’essentiel dans une architecture ce sont les gens. C’est de tout faire pour que les gens qui vont l’habiter y soient bien. C’est ce qui doit passer en premier lieu. Finalement peu importe la forme, le dessin,
le style … tout ça n’a pas de sens si les gens qui l’habitent ne s’y sentent pas bien. j’espère que l’on n’a jamais sacrifié ça au dessin d’une façade ! 

- C’est aussi très simple et très pratique. On fait attention aux choses simples, la lumière, la température, le silence … les qualités objectives d’un espace. Ça paraît une évidence et pourtant parfois … et puis il y a ce qui est moins objectif et qui fabrique de bons espaces …

- Le proviseur du Lycée Philippe Lamour dit que ses élèves sont très calmes comparativement à ceux d’autres établissements. Il pense que c’est lié à la présence des jardins. Un effet thérapeutique anti-stress ?

- Je ne sais pas si ça fonctionne comme ça. Moi j’ai besoin d’un arbre pour être bien. Pas forcément un jardin, simplement un arbre. J’aurais du mal à m’en passer. 

- Un arbre c’est déjà un jardin. C’est un témoin du temps.

Temps

- Un jour, lors d’une de ses conférences, j’ai entendu Michel Courajoud expliquer que, pour lui, le paysage c’est comme une conversation. Ça s’inscrit dans un temps long. Avant que l’on intervienne la conversation existe et il faut comprendre ce qui se dit, ensuite tu interviens en apportant un nouveau point de vue, et après que tu te sois éloigné, la conversation continue. Au mieux, si tu as été un tant soit peu pertinent, tu as influencé le cours de la discussion, mais jamais plus. Je crois que cette idée s’applique parfaitement à l’architecture. Il faut évidemment s’appuyer sur ce que nous livre un lieu et garder la certitude que notre travail n’est qu’une étape dans un processus long de transformation de ce lieu. Prenons les paysages cévenols, si tu regardes une maison tu comprends qu’elle n’est qu’une étape an sein d’une longue accumulation de transformations, d’ajouts.
 
- En architecture la temporalité c’est long. Il faut 4 à 5 ans entre le moment où tu entends parler d’un projet et le moment où il est construit. Il t’appartient à des degrés divers, dans l’idée, puis dans l’enthousiasme de sa matérialité, avec ceux qui le construisent, mais le jour de la réception, à la remise symbolique des clés, tu vis une rupture brutale car l’édifice est enfin habité. C’est un sentiment étrange de sonner à la porte d’une maison que l’on a conçue.

- j’aime les bâtiments ou les paysages qui ne sont pas finis. En fait, je n’aime pas ceux qui le sont ostensiblement, ceux qui sont tellement finis que tu as le sentiment que plus rien ne peut leur arriver. Qu’ils sont morts quoi ! je crois qu’il y a des architectures vivantes qui ont une capacité à évoluer, à se transformer, à exister simplement et puis il y a des architectures mortes à peine sont-elles achevées. ça ne veut pas dire qu’il faut faire des bâtiments inachevés mais je crois qu’il faut laisser un peu de vide, si on peut, au cœur de ce que l’on dessine. Il faut laisser un peu de place pour le temps. C’est ce que j’aime profondément dans le travail de Siza, à Evora par exemple, ou chez Barragan … Je devrais peut-être voir un psychanalyste, mais je crois de plus en plus à cette idée et j’ai de plus en plus de difficulté à apprécier ces architectures rutilantes qui font l’actualité mais qui me semblent si … finies. C’est peut-être pour ça que j’aime à ce point les jardins. Ils sont vivants.

- C’est vrai et, en plus, cette idée du temps, du  vide, laisse la place à l’évolution et à l’appropriation des lieux. J’aime penser que les gens qui vont vivre dans ce que l’on a construit n’en sont pas prisonniers, qu’ils ont une certaine maîtrise de leur espace vital. J’aime surtout le temps de la construction. Le moment où se matérialise la maison, avec des piquets et des cordes. C’est le point où ce que tu as pensé devient irréversible. Ensuite viennent le béton dans les fondations, les murs bruts, la charpente nue. C’est la photographie d’un projet en devenir.

Extrait des conversations [1] sur : www.cusymaraval.com
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